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seule classe capable de faire une révolution était aujourd’hui une classe de « déclassés purs », qui ne revendiquait pas de droits particuliers, accablée qu’elle est par une souffrance universelle et réduite par cette souffrance à reconquérir son humanité elle-même ? Cette classe est le prolétariat ; et sa révolution, si elle avait lieu, serait la suppression du prolétariat, c’est-à-dire la Révolution sociale.

Il est vrai. Mais, entre 1843 et 1847, Marx a passé du socialisme philosophique au matérialisme économique. Il n’étudie plus le prolétariat dans son concept et comme destine à réaliser la philosophie allemande. Il l’étudie dans sa situation réelle ; et les fins qu’il lui assigne, il les mesure à sa force. Or s’il y avait, en Allemagne, un prolétariat, ce n’était pas encore, dans sa majorité, une classe ouvrière travaillant pour une industrie capitaliste. Les ouvriers travaillaient dans l’atelier des petits patrons, résidu de l’artisanerie médiévale. Ils avaient les idées de ces petits patrons, dont ils partageaient la vie. Ils étaient capables de révolution dans la mesure où la petite bourgeoisie en était capable elle-même. Seule une minorité, éclairée par leur vie ambulante de compagnons, par l’observation de l’étranger et par la propagande des écrits utiles, avait su acquérir la notion de leur émancipation de classe. Cette émancipation, il n’était pas question qu’ils l’accomplissent eux-mêmes tout de suite[1]. Si la révolution allemande, prédite par le

  1. Marx. Révolution und Kontre-Revolution, p. 9, 49.