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apportait sa part d’expérience économique dans cette œuvre d’affranchissement. Ils en venaient alors, comme Hess, à concevoir l’Europe comme une triarchie franco-anglo-allemande. Mais, dans ce trio, l’Allemagne était « le peuple le plus universel, le plus européen[1] ». Le Manifeste, qui reproche à ces doctrinaires de tenir « le philistin allemand pour l’homme normal » (§ 66), les atteint d’un coup direct ; et Marx a fait d’autant plus sévère cette appréciation qu’elle enferme un remords et une part d’autocritique sur laquelle il ne faut pas se méprendre.

Marx avait, lui aussi, dans les lettres à Ruge (1843) voulu chercher « une conciliation entre le socialisme et l’idéologie, entre la réalité de l’être humain et son existence théorique ». Il parlait le jargon feuerbachien, quand il affirmait que « les formes sacrées de l’aliénation de la personne humaine étant abolies, il fallait démasquer les formes profanes de l’aliénation de cette même personne », à la critique du ciel substituer la critique de la terre, à la critique de la religion celle du droit, à la critique de la théologie celle de la politique. Quand on fait remonter le marxisme à Hegel et à Feuerbach, il ne faut pas oublier que Marx a répudié lui-même l’application à des choses sociales de la méthode hégélienne et feuerbachienne. Moses Hess, Karl Grün et Hermann Kriege y persistèrent trop longtemps. Non pas qu’il n’y eût parfois chez eux une perception sentimentalement juste d’une réalité qu’ils étaient incapa-

  1. Hess, cité par Koigen, p. 199.