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qui estiment qu’une étable est assez bonne pour des familles ouvrières, et qui ne dédaignent pas de tirer de sa location le plus d’argent possible[1]. « Ou bien c’est une cabane en ruines avec une seule chambre à coucher, sans foyer, sans latrines, sans fenêtres, sans autre conduit d’eau que le fossé, sans jardin, et le travailleur est sans défense contre ces iniquités. Nos lois de police sanitaire (les Nuisances Removal Acts) sont en outre lettre morte. Leur exécution est confiée précisément aux propriétaires qui louent des bouges de cette espèce… On ne doit pas se laisser éblouir par quelques exceptions et perdre de vue la prédominance écrasante de ces faits qui sont l’opprobre de la civilisation anglaise. L’état des choses doit être en réalité épouvantable, puisque, malgré la monstruosité évidente des logements actuels, des observateurs compétents sont tous arrivés au même résultat sur ce point, savoir, que leur insuffisance numérique constitue un mal infiniment plus grave encore. Depuis nombre d’années, non seulement les hommes qui font surtout cas de la santé, mais tous ceux qui tiennent à la décence et à la moralité de la vie, voyaient avec le chagrin le plus profond l’encombrement des habitations des ouvriers agricoles. Les rapporteurs chargés d’étudier la propagation des maladies épidémiques dans les districts ruraux n’ont jamais cessé, en phrases si uniformes qu’elles semblent stéréotypées, de dénoncer cet encombrement comme une des causes qui rendent vaine toute tentative faite pour arrêter la marche d’une épidémie une fois qu’elle est déclarée. Et mille et mille fois on a eu la preuve que, malgré l’influence favorable de la vie champêtre sur la santé, l’agglomération qui active à un si haut degré la propagation des maladies contagieuses ne contribue pas moins à faire naître les maladies ordinaires. Et les hommes qui ont dénoncé cet état de choses n’ont pas passé sous silence un mal plus grand. Alors même que leur tâche se bornait à examiner le côté sanitaire, ils se sont vus presque forcés d’aborder aussi les autres côtés de la question en démontrant par le fait que des adultes des deux sexes, mariés et non mariés, se trouvent très souvent entassés pêle-mêle (huddled) dans des chambres à coucher étroites. Ils ont fait naître la conviction que, dans de semblables circonstances, tous les sentiments de pudeur et de décence sont offensés de la façon la plus grossière, et que toute moralité est nécessairement étouffée…[2] On peut voir, par exemple, dans l’appendice de mon dernier rapport, un cas mentionné par le docteur Ord, à propos de la fièvre qui avait ravagé Wing, dans le Buckinghamshire. Un jeune homme y arriva de Wingrave avec la fièvre. Les premiers jours de sa maladie il couche dans une même chambre avec neuf autres individus. Quelques semaines après, cinq d’entre eux furent pris de la même fièvre et un en mourut ! Vers la même époque, le docteur Harvey, de l’hôpital Saint‑Georges, à propos de sa visite à Wing pendant l’épidémie, me cita des faits pareils : « Une jeune femme malade de la fièvre couchait la nuit dans la même chambre que son père, sa mère, son enfant illégitime, deux jeunes hommes, ses frères, et ses deux sœurs chacune avec un bâtard, en tout dix personnes. Quelques semaines auparavant, treize enfants couchaient dans ce même local. »

Le docteur Hunter visita cinq mille trois cent soixante-quinze cottages de travailleurs ruraux, non seulement dans les districts purement agricoles, mais dans toutes les parties de l’Angleterre. Sur ce nombre deux mille cent quatre-vingt-quinze contenaient une seule chambre à coucher (formant souvent toute l’habitation) ; deux mille neuf cent trente en contenaient deux et deux cent cinquante plus de deux. Voici quelques échantillons pris parmi une douzaine de ces comtés.

1) Bedfordshire.

Wrestlingiworth : Chambre à coucher d’environ douze pieds de long sur dix de large, et il y en a beaucoup de plus petites. L’étroite cabane, d’un seul étage, est souvent partagée, au moyen de planches, en deux chambres à coucher, il y a quelquefois un lit dans une cuisine haute de cinq pieds six pouces. Loyer : trois livres sterling par an. Il faut que les locataires construisent eux-mêmes leurs lieux d’aisances, le propriétaire ne leur fournissant que le trou. Dès que l’un d’eux a construit ses latrines, elles servent à tout le voisinage. Une maison du nom de Richardson était une vraie merveille. Ses murs de mortier ballonnaient comme une crinoline qui fait la révérence. À une extrémité, le pignon était convexe, à l’autre concave. De ce côté-là se dressait une malheureuse cheminée, espèce de tuyau recourbé, fait de bois et de terre glaise, pareil à une trompe d’éléphant ; pour l’empêcher de tomber on l’avait appuyée à un fort bâton. Les portes et les fenêtres étaient en losange. Sur dix-sept maisons visitées, quatre seulement avaient plus d’une

  1. « Le loueur de maisons (fermier ou propriétaire) s’enrichit directement ou indirectement au moyen du travail d’un homme qu’il paie dix shillings par semaine, tandis qu’il extorque ensuite au pauvre diable quatre ou cinq livres sterling par an pour le loyer de maisons qui ne seraient pas vendues vingt sur le marché. Il est vrai que leur prix artificiel est maintenu par le pouvoir qu’a le propriétaire de dire : « Prends ma maison ou fais ton paquet, et cherche de quoi vivre où tu voudras, sans le moindre certificat signé de moi… » Si un homme désire améliorer sa position et aller travailler dans une carrière, ou poser des rails sur un chemin de fer, le même pouvoir est là qui lui crie : «Travaille pour moi à bas prix, ou décampe dans les huit jours. Prends ton cochon avec toi, si tu en as un, et réfléchis un peu à ce que tu feras des pommes de terre qui sont en train de pousser dans ton jardin. » Dans les cas où le propriétaire (ou le fermier) y trouve son intérêt, il exige un loyer plus fort comme punition de ce qu’on a déserté son service. » (Dr Hunter, l. c., p. 131)
  2. Le spectacle de jeunes couples mariés n’a rien de bien édifiant pour des frères et sœurs adultes, qui couchent dans la même chambre, et, bien qu’on ne puisse enregistrer ces sortes d’exemples, il y a suffisamment de faits pour justifier la remarque que de grandes souffrances et souvent la mort sont le lot des femmes qui se rendent coupables d’inceste. » (Dr Hunter, l. c., p. 137.) Un employé de police rurale, qui a fonctionné pendant de longues années comme détective dans les plus mauvais quartiers de Londres, s’exprime ainsi sur le compte des jeunes filles de son village : « Leur grossière immoralité dans l’âge le plus tendre, leur effronterie et leur impudeur, dépassent tout ce que j’ai vu de pire à Londres, pendant tout le temps de mon service… Jeunes gens et jeunes filles adultes, pères et mères, tout cela vit comme des porcs et couche ensemble dans la même chambre. » (Child. Empl. Comm. Sixth Report. London, 1867. Appendix, p. 77, n° 155.)