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la lutte des classes en france

soleil qui rapprochait le jour de l’échéance, le 2 mai 1852, ils voyaient le mouvement des étoiles protester du non-paiement de leurs billets terrestres. Ils étaient devenus de véritables astrologues. L’Assemblée nationale avait enlevé à Bonaparte l’espérance d’une prorogation constitutionnelle de son pouvoir. La candidature du prince de Joinville ne permettait pas d’hésiter plus longtemps.

Si jamais événement s’est fait deviner longtemps avant sa venue par l’ombre qu’il projetait devant lui, ce fut bien le coup d’État de Bonaparte. Dès le 29 janvier 1849, un mois à peine après son élection, il s’en était ouvert à Changarnier. Son propre premier ministre, Odilon Barrot, avait dans l’été de 1849, secrètement combattu la politique du coup d’État ; Thiers, dans l’hiver de 1850, l’avait officiellement dénoncée. En mai 1851, Persigny avait essayé d’intéresser Changarnier au coup d’État ; le Messager de l’Assemblée publia cet entretien. A chaque tempête parlementaire, les journaux bonapartistes menaçaient d’un coup d’État, et plus la crise s’approchait, plus leur ton s’élevait. Dans les orgies que Bonaparte célébrait chaque nuit avec des hommes et des femmes du « swel mob », chaque fois que l’heure de minuit s’approchait, quand d’abondantes libations avaient délié les langues et excité la fantaisie, on décidait le coup d’État pour le lendemain matin. On tirait les épées, on choquait les verres : les représentants prenaient la fenêtre, le manteau impérial tombait