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la lutte des classes en france

inquiets, ils évoquent en leur faveur les esprits du passé, leur empruntent leur nom, leur cri de guerre, leur costume pour jouer sous ce déguisement d’une antiquité respectable et dans cette langue empruntée une nouvelle scène historique. Luther prenait le masque de l’apôtre Paul, la Révolution de 1789-1814 prit alternativement le costume de la révolution romaine et celui de l’empire romain, et la Révolution de 1848 ne sut rien faire de mieux que de parodier ici 1789 et là la tradition révolutionnaire de 1793-95. De même le commençant qui a appris une nouvelle langue la retraduit toujours dans sa langue maternelle ; mais il n’a pénétré le génie de la nouvelle langue, il ne peut s’y risquer hardiment que quand ses réminiscences ne l’entravent plus et qu’il oublie en parlant sa langue maternelle.

Si l’on considère ces évocations historiques, on y remarquera aussitôt une différence saillante. Sous la première Révolution, Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, les partis, la masse remplissaient, sous les costumes romains, avec les phrases romaines, le devoir qu’imposait l’époque : ils travaillaient librement à établir la société bourgeoise moderne. Les uns mettaient en pièces les terres féodales et fauchaient les têtes seigneuriales qui s’étaient élevées sur ces terres. Les autres créaient, au sein de la France, les conditions nécessaires pour que pût se développer la libre concurrence, s’exploiter la propriété parcel-