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abolition du suffrage universel
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conque venant du ministre de la Guerre ou du président. La presse contribuait à grossir la figure de Changarnier. Comme les grandes personnalités manquaient complètement, le parti de l’ordre se vit forcé d’attribuer à un seul individu la force qui manquait à toute la classe, de l’enfler jusqu’à en faire un monstre. C’est ainsi que naquit le mythe de Changarnier, boulevard de la société. Sa charlatanerie présomptueuse, les airs importants et mystérieux avec lesquels il condescendait à porter le monde sur ses épaules, forment le contraste le plus ridicule avec les événements qui se passèrent pendant et après la revue de Satory. Ils montraient incontestablement qu’il suffisait d’un trait de plume de Bonaparte, de l’infiniment petit, pour ramener cette création fantastique de la terreur bourgeoise, le colosse Changarnier, aux dimensions de la médiocrité, et le transformer, lui, le héros sauveur de la société, en un général en retraite.

Il y avait longtemps que Bonaparte s’en était pris à Changarnier. Il avait provoqué le ministre de la Guerre à user de tracasseries disciplinaires vis-à-vis de son incommode protecteur. La dernière revue de Satory avait fait éclater cette rancune déjà ancienne. L’indignation constitutionnelle de Changarnier ne connut plus de limites quand il vit défiler les régiments de cavalerie aux cris anticonstitutionnels de : « Vive l’empereur ! » Bonaparte voulut empêcher tout débat désagréable de