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l’opposition entre la philosophie et le monde, l’extrémité de leur différence. Elle est donc l’inverse de tout positivisme, et les risques qu’elle comporte ne doivent pas faire oublier sa force révolutionnaire.

Cette pensée de l’alternance reste tout entière sur le sol hégélien. Elle est même en un sens plus hégélienne que la pensée des Jeunes hégéliens, incarnée par Bauer, car elle refuse de « laisser tomber » un des deux moments essentiels, et de faire une « philosophie de la conscience » opposée à la substance. C’est ici précisément que le jeune Marx affirme sa différence spécifique. Le refus de suivre Bauer dans sa philosophie de la pure conscience de soi, dans son retour en arrière philosophique, dans sa critique de Hegel entièrement solidaire du système hégélien, est le simple effet de la rigueur philosophique. Marx croit à l’activité créatrice déterminante de l’esprit dans le développement de l’histoire, mais « au lieu d’attribuer, comme Bauer, cette puissance créatrice à l’essence, c’est-à-dire à la forme subjective de l’esprit, dans laquelle celui-ci arrive à la conscience de soi par un acte de réflexion qui l’oppose à la réalité concrète[1] », il l’attribue, comme Hegel, « à l’esprit objectif, à l’idée, où la pensée et l’être, le sujet créateur et l’objet créé par lui se confondent ». L’apparente fidélité à Hegel professée par Marx est en réalité ce qui lui permettra, en vertu de la rigueur de sa démarche, d’accueillir, sans en rester l’esclave, le renversement de Hegel accompli par Feuerbach. Ce que Marx comprend dès 1839, c’est qu’il ne sert à rien de critiquer un système philosophique total de manière parcellaire, sous peine de s’y enfoncer davantage. Il n’y a pas de détail chez un philosophe qui ne tienne à son principe[2]. La véritable critique de Hegel ne saurait être un « replâtrage », mais le

  1. . Cornu, op. cit.. I, 178.
  2. . L’itinéraire philosophique de Marx peut être décrit comme la recherche constante de l’insuffisance du principe hégélien. Il écrit dans les Manuscrits de 1844 : « Ainsi, il ne peut même plus être question de concessions faites par Hegel à la religion, à l’Etat, etc., car ce mensonge est le mensonge de son principe même. » (À savoir le faux positivisme qui s’affirme comme aliéné.) [Cf. éd. citée,p. 141.]