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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

avoir parlé au prince de Conti de la mauvaise santé du pape, La Fontaine ajoute :

… les gens de delà les monts
Auront bientôt pleuré cet homme,
Car il défend les Jeannetons,
Chose très nécessaire à Rome.

« Comme il ne coûte rien d’appeler les choses par noms honorables, et que les nymphes de delà les monts, les bergers[1] même pourroient s’offenser de celui-ci, je leur dirai que j’ai d’abord voulu les qualifier de Chloris ; mais ma rime m’a fait choisir l’autre nom, que j’avais déjà consacré à ces sujets-là[2]. »

Ce terme ne peut être toléré que dans les ouvrages comiques ; il est tout à fait déplacé au théâtre. Nous l’avons pourtant trouvé dans une pièce sérieuse qui se passe en Espagne et dont les personnages doivent être nécessairement considérés comme parlant la langue du pays, ce qui rend encore plus choquant l’emploi des expressions si particulières à la nôtre. Dans Ruy-Blas, don Sallustre faisant à don César de vifs reproches sur sa conduite déréglée, s’écrie :

Partout on vous rencontre avec des Jeannetons ![3]

L’auteur, emporté ici par son goût pour le trivial, s’est beaucoup éloigné de cette exactitude rigoureuse dans les détails dont il se pique, et qui constitue, selon lui, un des mérites principaux d’une œuvre dramatique.

Nous avons vu La Fontaine opposer les Philis aux Jeannes, ailleurs ce sont les Clymènes qu’il oppose aux Jeannetons :

  1. Il y a berger dans toutes les éditions ; mais le sens exigerait qu’on lût bergère.
  2. Juillet 1689, tome II, p. 743.
  3. Acte I, sc. ii, 54.