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LE MUSICIEN DE PROVINCE

Linfant avait un sourire en coin, une voix de ricaneur et une collection de lieux-communs restreinte qui l’obligeait à se répéter et à rabâcher. Il se croyait mordant, spirituel et infaillible sur toutes sortes de matières, mais particulièrement quant aux questions de polyphonie : « Car, disait-il, je ne suis pas musicien, mais… j’ai une oreille ! »

Cette oreille de Linfant continuellement ravie de la voix de Linfant et toujours ouverte à l’audition admirative des jugements de Linfant, symbolisait l’insensibilité et la prétention ridicule.

Linfant n’était ni un méchant ni un idiot, il était seulement médiocre, c’est-à-dire froid ; il brisait, comme il pouvait, les enthousiasmes et chérissait les conventions les plus abjectes. Il était en un mot tout l’opposé de M. Grillé.

La première fois que Linfant vint assister à l’une de nos soirées musicales, on joua l’ouverture du Calife qui commençait d’être assez bien sue. Il applaudit du bout des doigts et ne voulant pas déclamer trop ouvertement contre l’ensemble, m’avait choisi pour me dire tout à fait à part quel était son avis : « Tu sais, fit-il, l’orchestre ça ne vaut pas un solo de violoncelle… Moi ! j’ai entendu Servais… rappelle-toi ça… »

Je protestai doucement en faveur de l’orchestre et Linfant ajouta : « Des goûts et des couleurs, il n’y a pas à discuter. » Je gardai mes réflexions pour moi, sachant le danger qu’il y