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Daniel avait répondu aussitôt :


« Tu souffres, ami ?

« Pourquoi, toi, si jeune, ô mon ami très cher, toi, si jeune, pourquoi maudire la vie ? Sacrilège ! Ton âme, dis-tu, est enchaînée à la terre ? Travaille ! Espère ! Aime ! Lis !

« Comment te consolerai-je du tourment qui accable ton âme ? Quel remède à ces cris de découragement ? Non, mon ami, l’idéal n’est pas incompatible avec la nature humaine. Non, ce n’est pas seulement une chimère enfantée à travers quelque rêve de poète ! L’Idéal, pour moi, (c’est difficile à expliquer) mais, pour moi, c’est mêler du grand aux plus humbles choses terrestres ; c’est faire grand tout ce qu’on fait ; c’est le développement complet de tout ce que le Souffle Créateur a mis en nous comme facultés divines. Me comprends-tu ? Voilà l’Idéal, tel qu’il réside au fond de mon cœur.

« Enfin, si tu on crois un ami fidèle jusqu’au trépas, qui a beaucoup vécu parce qu’il a beaucoup rêvé et beaucoup souffert ;