Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’avance vers Jenny :

— « Les ténèbres sont expulsées ! Donnez-moi vos mains, mon doux cœur. » Et l’enfant qui depuis deux jours ne comprend presque plus les paroles, présente ses mains. « Regardez-moi ! » Et les yeux hagards qui ne semblaient plus voir, se fixent sur lui. « Il te délivrera de la mort, et les bêtes de la terre seront en paix avec toi. Vous êtes en santé, petite chose ! Il n’y a plus de ténèbres ! Gloire à Dieu ! Priez ! » Le regard de l’enfant a retrouvé une expression consciente : elle remue les lèvres ; il semble vraiment qu’elle tente un effort pour prier. « Maintenant, my darling, laissez descendre les paupières. Doucement… C’est bien… Dormez, my darling, vous n’avez plus contrariété ! Il faut dormir de joie ! »

Quelques minutes plus tard, pour la première fois depuis cinquante heures, Jenny sommeillait. La tête immobile s’enfonçait mollement dans l’oreiller ; l’ombre des cils s’allongeait sur les joues, et les lèvres laissaient passer une haleine égale. Elle était sauvée.