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donne pas ceux qui mettent leur confiance en lui. Allons, embrasse-moi, et viens demander pardon à ton père. »


Quelques instants plus tard, Jacques rentrait dans sa chambre, la figure tuméfiée par les larmes, le regard en feu. Il s’avança vers la glace et se dévisagea férocement jusqu’au fond des yeux, comme s’il lui fallait l’image d’un être vivant à qui hurler sa haine, sa rancune. Mais il entendit marcher dans le couloir : sa serrure n’avait plus de clef : il entassa une barricade de chaises contre la porte. Puis, se précipitant à sa table, il griffonna quelques lignes au crayon, enfouit le feuillet dans une enveloppe, écrivit l’adresse, mit un timbre, et se leva. Il était comme égaré. À qui confier cette lettre ? Il n’avait autour de lui que des ennemis ! Il entr’ouvrit la fenêtre. Le matin était gris ; la rue déserte. Mais, là-bas, une vieille dame et un enfant venaient sans se presser. Jacques laissa tomber la lettre, qui tournoya, tournoya, et vint se poser sur le trottoir. Il recula précipitamment. Lorsqu’il hasarda de nouveau la tête au dehors, la lettre avait disparu ; la dame et l’enfant s’éloignaient.