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songea que chez lui, à la table du petit déjeuner, sa chaise était vide.

Soudain le soleil emplit la pièce : la jeune femme venait de pousser les volets, et sa voix fraîche éclata dans la lumière comme un trille d’oiseau :

« Ah, si l’amour prenait racine,
J’en planterais dans mon-on jardin !… »

C’était trop. Ce rayon de soleil, et cette insouciance joyeuse, à l’instant même où il luttait contre son désespoir… Les larmes lui vinrent aux yeux.

— « Allons, dépêche ! » cria-t-elle gaîment, en enlevant la tasse vide.

Elle s’aperçut qu’il pleurait :

— « T’as du chagrin ? » fit-elle.

Elle avait la voix tendre d’une grande sœur ; il ne put retenir un sanglot. Elle s’assit sur le bord du matelas, passa le bras autour de son cou, et, maternellement, pour le consoler, — dernier argument de toutes les femmes, — elle prit sa tête et l’appuya contre sa poitrine. Il n’osa plus faire un mouvement ; il sentait, le long de son visage, à travers la chemise, le va-et-vient de la gorge et sa tiédeur. La respiration lui manqua.