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sive, autoritaire, sensuelle. Il leva la tête :

— « Tu verras, je sais », affirma-t-il, « à Tunis, la vie est facile ! On emploie aux rizières tous ceux qui se présentent ; on mâche du bétel, c’est délicieux… On est payé tout de suite et nourri à discrétion, de dattes, de mandarines, de goyaves… »

— « On leur écrira de là-bas », hasarda Daniel.

— « Peut-être », rectifia Jacques, en secouant son front rouquin. « Quand on sera bien établi, et qu’ils auront vu qu’on peut se passer d’eux. »

Ils se turent. Daniel, qui ne mangeait plus, contemplait devant lui les grosses coques noires, et le grouillement des hommes de peine sur les dalles ensoleillées, et la splendeur de l’horizon à travers l’enchevêtrement des mâts : il luttait et s’aidait du spectacle pour ne pas penser à sa mère.

L’important était de s’embarquer, dès ce soir, sur le La Fayette.

Un garçon de café leur indiqua le bureau des Messageries. Les prix étaient affichés. Daniel se pencha vers le guichet.

— « Monsieur, mon père m’envoie prendre deux places de troisième classe pour Tunis. »