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tendait les voiles de manière à nous faire filer plus de nœuds que jamais. Je fus soudain tiré de mon rêve par un choc si violent, que toute la masse flottante en retentit ; des cris de détresse s’échappèrent aussitôt des entrailles du navire.

Un second choc suivit, puis un troisième ; tout à coup la coque entière s’entr’ouvrit avec fracas, et les vagues écumantes s’y précipitant à l’envi, transformèrent instantanément ces clameurs horribles en un silence plus horrible encore. Violemment lancé jusqu’au fond de l’abîme, je fis un effort désespéré pour lutter à la nage contre les flots, et je pus voir encore, au-dessus de moi, la douce lumière des étoiles ; mais une nouvelle lame furieuse me replongea dans les sombres profondeurs, d’où l’instinct de la vie et la prodigieuse vigueur de la jeunesse me ramenèrent une seconde fois vers la clarté du ciel. À ce moment, je sentis mes forces défaillir ; je m’abandonnai, en proie à la mort, au fond de ces gouffres, et renonçai pour jamais au joyeux éclat du jour. Alors il me sembla que je m’endormais d’un sommeil profond, et qu’il ne m’était plus permis de m’éveiller, bien qu’une voix intérieure me le criât sans cesse. Parvenu enfin à secouer cet assoupissement, et revenant à moi, je portai les yeux à l’entour, et finis par reconnaître que la mer m’avait jeté sur ces rocs arides. Rassemblant mon courage et mes forces, je me mis à gravir ces rudes arêtes, afin de reconnaître les lieux qui m’avaient recueilli. Arrivé au sommet, mes yeux n’aperçurent que la mer et le ciel entourant de toutes parts le rocher solitaire et nu dont je devenais l’hôte solitaire et nu comme lui. Plus loin, contre les vives saillies d’un autre récif où les vagues blanches d’écume venaient avec fracas se briser en poussière, s’entassaient les débris flottants du navire, entraînés par le courant, mais, hélas ! hors de ma portée. Et je me pris à penser : Dans un lieu pareil, tu n’auras pas longtemps à envier le sort de tes compagnons qui ont trouvé là leur triste fin. — Mais non ! cette mort que j’appelle ne veut pas encore de moi ! Les œufs nombreux de ces oiseaux des mers m’offrent