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comme par la forme, un écrivain d’une originalité réelle. Chamisso, qui se décida bientôt à écrire exclusivement en allemand, introduisit dans cet idiome adoptif la netteté, la décision de l’esprit français. Il poursuivit de la sorte, mais en le modifiant essentiellement quant à l’agencement grammatical et logique de la phrase, ce que Gœthe avait depuis longtemps commencé avec autant d’opportunité que de talent : il contribua à faire tomber en discrédit et en désuétude les longues périodes, dont la solennelle roideur plaisait au formalisme un peu guindé de l’Allemagne. Gœthe, en préconisant et en pratiquant la phrase courte, restait fidèle au vieux génie germanique, à l’inversion, au groupement poétique et pittoresque des mots. Chamisso y infusa le caractère de notre prose de cristal, telle que Malherbe et Voltaire l’ont faite, prompte, claire, mais assurément trop sèche et trop nue comme instrument poétique. Rappelons en passant que, plus récemment, Henri Heine, dans sa prose comme dans ses lieder, d’une si admirable condensation, a su mettre d’accord les deux tendances : il a gardé, du libre épanouissement germanique, tout ce qui prête aux vagues perspectives de la rêverie ; il a emprunté au tour vif, direct et précis de la tradition française, cette flèche ailée et perçante de la raison, du sarcasme et de la gaieté. Mais revenons à Chamisso.

Bien que toujours Français au fond du cœur, il s’attacha par la reconnaissance à l’Allemagne, comme à une seconde patrie. Sa nature aimante et aimable l’y lia d’ailleurs bientôt par de glorieuses et durables amitiés. Irrésistiblement attiré par la contemplation des merveilles de la nature, il ne tarda pas à se livrer,