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son palais aux longues façades, de son parc si coquettement distribué et entretenu, de sa colonne dédiée aux croisés de 1813, du monument, un peu froid, consacré à la mémoire de Leibnitz ! Et votre érudition, aussi variée que modeste, comme j’y puisais à pleines mains, et comme vous répondiez à toutes mes questions avec une patience toujours souriante ! Ce soir-là, vous aviez voulu me faire fête. Je vois encore sur votre table, plus habituée au poids des livres, ces assiettes de pâtisseries et de cigares destinés à accompagner nos doctes dissertations. La consommation porta surtout sur les cigares. Comme on boit à ceux que l’on aime, nous en fumâmes plus d’un à la santé des poètes dont les noms nous étaient également chers. Comment n’aurions-nous pas parlé particulièrement de Heine, puisque l’avant-veille je murmurais ses vers sur le pont du Rhin, à Dusselforf ? Hélas ! ce vif esprit, qui vient de s’éteindre si vaillant encore, était alors dans toute sa force ! Sur ma demande, vous voulûtes bien me lire d’une voie émue et vibrante sa ballade des Deux Grenadiers. Entre un Français et un Allemand sympathiquement entraînés l’un vers l’autre, le génie de Heine était le naturel trait-d’union. Ce génie mêlé de rêverie et d’action est la plus habile, la plus spontanée fusion, de nos deux nationalités. Heine, c’est le cœur diaboliquement embrasé de Faust, que rafraîchit et rachète incessamment une larme de Marguerite. Cette larme-là lui fera pardonner bien des ricanements.

J’avais avec moi quelques exemplaires d’un livre que je venais de publier sur les Poètes contemporains de l’Allemagne, et j’ignorais, à ma honte, que vous aviez composé, trois ans plus tôt, un ouvrage sem-