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mures croissants de la discorde dominent les suaves accords des flûtes, et font pressentir le cri de meurtre qui bientôt remplira les salles du burg, ainsi que les rues de la ville et tous les pays, ce cri terrible qui, mille ans après, devait encore résonner en répandant l’effroi dans le cœur des générations survenantes.

Les deux reines Chriemhilt et Brunhild sont assises l’une près de l’autre, comme autrefois, dix ans plus tôt, et elle pensent à ces jours déjà si loin ; Chriemhilt avec un entier apaisement et dans la complète possession du bonheur alors seulement désiré : « J’ai, dit-elle, un époux bien digne de posséder tous ces royaumes ! » Ainsi déborde et s’épanche ce cœur candide plein d’innocence et d’amour. Et pourtant ces naïves paroles étaient l’étincelle qui devait allumer un immense incendie. « Comment cela serait-il possible ? répond Brunhild d’un air sombre ; ces royaumes appartiennent à Gunther, et doivent lui rester soumis. » Chriemhilt, comme absorbée par la douce pensée de son époux, n’entend pas ces paroles qui trahissent la naissante colère, et elle poursuit avec le même abandon expansif : « Ne vois-tu pas comme il se tient là, avec quelle noblesse il passe là devant les héros : on dirait la lune au milieu des étoiles. C’est pourquoi mon âme est si joyeuse. » Brunhild répond : « C’est à Gunther qu’appartient la préséance entre tous les rois ! » Et Chriemhilt ; « Sigfrid est bien l’égal de mon frère Gunther. » À ces mots, Brunhild éclate : « Lorsque ton frère me conquit pour son épouse, Sigfrid lui-même a dit qu’il était le vassal de Gunther, et c’est pourquoi je le tiens pour tel depuis lors. » Chriemhilt, d’un ton amical, prie Brunhild de laisser ce sujet de dispute. « Non pas