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les galères de dunkerque

femmes même, auxquelles nous nous adressions plutôt, comme au sexe ordinairement le plus susceptible de compassion, nous disaient des injures en leur langage provençal, « Marche, marche, nous disaient-elles, là où tu vas, ne te manquera pas d’eau. »

On voit donc le long du quai où sont les galères, une longue rangée de ces baraques avec deux ou trois galériens dans chacune, exerçant leur métier ou leur industrie pour gagner quelques sols[1]. Je dis industrie, car il n’y en a, qui ne s’occupent qu’à dire ce qu’on appelle la bonne aventure, ou à tirer l’horoscope. D’autres vont plus loin, et contrefont les magiciens et toute leur magie consiste dans leur industrie.

De mon temps, à Marseille, il y avait sur la Grande-Réale, où j’étais, un vieux galérien nommé père Laviné. Cet homme avait le renom de ne jamais manquer à faire retrouver les choses perdues ou volées. Un jour, un marchand de Marseille avait oublié de serrer dans sa caisse vingt louis d’or qui étaient restés dans son comptoir sur son pupitre et qui furent éclipsés. Ce marchand, ayant fait toutes les recherches possibles, s’adresse à mon rusé magicien Laviné, qui l’assure que, quand ses louis seraient en enfer, il les lui ferait retrouver. Il accorde à un louis pour lui et prie le marchand de lui donner une liste de toutes les personnes qui composaient sa famille et son domestique,

  1. Avant le temps de Bouchard (1630), les galériens avaient certaines libertés à bord des galères. « Non seulement, dit-il, leurs femmes légitimes, que beaucoup de forçats avaient emmenées avec eux à Toulon, mais encore quantité de garces allaient les visiter que ces compagnons besognaient devant tout le monde, les couchant sous le banc sur leur capot, mais depuis quelques années en ça, le général a refusé l’entrée aux femmes, de sorte qu’il ne se pèche plus maintenant là-dedans qu’en sodomie, mollesse, irrumation et autres pareilles tendresses. » (Les Confessions de Jean-Jacques Bouchard, 151.) En 1701, Pontchartrain déplorait le scandale que causaient sur le port de Marseille les filles et les femmes qui se prostituaient publiquement. « Je m’aperçois du mauvais effet que produit cette débauche par le nombre de soldats, forçats et Turcs attaqués de maux vénériens qui sont dans les hôpitaux (Archives Nationales, KK. 938). Le 23 juin 1712, Louis xiv édictait la peine de la bastonnade pour tout forçat ou Turc surpris entrant aux mauvais lieux ou en sortant.