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la vie aux galères

Les Turcs, pour la plupart, n’ont pas de métier, et on ne les oblige pas à tricoter, car, comme ils sont assez intrigants d’eux-mêmes, et qu’ils ne sont jamais enchaînés, en payant un sol par jour à l’argousin, ils vont rôder par la ville et travaillent chez les bourgeois qui les veulent occuper, soit à fendre du bois ou autres ouvrages pénibles et tous les soirs ils reviennent à la galère, n’ayant presque pas d’exemple qu’aucun tâche de se sauver. Aussi n’en ont-ils pas la facilité, tout libres qu’ils soient, car ils sont si reconnaissables par leur teint d’ordinaire brûlé et par leur langue franque, qui est un véritable baragouin, qu’ils ne seraient pas à une demi-lieue de la ville qu’on les ramènerait en galère, car il y a vingt écus de prime pour ceux de la ville ou de dehors qui ramènent un Turc ou un forçat qui s’est évadé ; et lorsqu’il arrive que quelqu’un de la chiourme s’évade, les galères ont la précaution de tirer un coup de canon, de distance à autre, pour avertir de cette évasion. Alors tous les paysans, principalement à Marseille, courent après cette curée avec leur fusil et leur chien de chasse, et il est comme impossible que ce pauvre fugitif ne tombe dans leurs mains. J’en ai vu divers exemples à Marseille. Pour ce qui est de Dunkerque, les Flamands avaient cette chasse en horreur, mais la soldatesque, dont tout était rempli à Dunkerque et aux environs, n’y regardait pas de si près pour gagner vingt écus. Il est arrivé à Marseille qu’un fils ramena son propre père aux galères, d’où il s’était sauvé. Il est vrai que l’intendant en eut tant d’horreur qu’après avoir fait compter les vingt écus, il le fit mettre à la chaîne comme forçat, sans dire pourquoi et sans sentence, si bien qu’il y resta toute sa vie, aussi bien que son malheureux père. Tant il est vrai que la nation provençale est généralement perfide, cruelle et inhumaine ! Il me souvient qu’en traversant la Provence pour aller à Marseille, étant enchaînés à la grande chaîne, nous tendions nos écuelles de bois à ceux qui se trouvaient sur notre passage dans les villages pour les supplier de nous y mettre un peu d’eau pour nous désaltérer. Mais ils avaient tous la cruauté de n’en vouloir rien faire. Les