Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/75

Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
les galères de dunkerque

prend pas du tout ce qu’on lui enseigne, alors ils lui donnent un boulet de canon à éclaircir, en le menaçant, que s’il ne l’a pas rendu clair comme de l’argent du matin au soir, il sera roué de coups. C’est une chose impossible que d’éclaircir un boulet de canon, et quand ce misérable y travaillerait toute sa vie, y aurait-il employé tout le sable qu’il pourrait trouver et tout le tripoli de l’univers, il n’en viendrait pas à bout. Ainsi il est immanquable qu’il sera rossé ; et tous les jours c’est à recommencer jusqu’à ce que ce malheureux se résolve enfin à apprendre à tricoter, car un comite n’en démord jamais.

Il y en a plusieurs parmi la chiourme qui savent des métiers, et qui les apprennent à d’autres, comme tailleur, cordonnier, perruquier[1], graveur, horloger, etc. Ceux-là sont heureux en comparaison de ceux qui ne savent que brocher ; car dans l’hiver, lorsque les galères sont désarmées, on leur permet de dresser de petites baraques de planches, sur le quai du port, chacun vis-à-vis de sa galère[2]. L’argousin les y enchaîne tous les matins et au soir il les renchaîne dans la galère. Cet argousin, pour sa peine et celle de veiller sur eux, a un sol par jour, que chacun d’eux paie exactement[3].

  1. Les perruquiers-barbiers-étuvistes de Marseille se plaignirent à plusieurs reprises de la concurrence des forçats. Après une lutte de plusieurs mois, en 1703, les forçats obtinrent de faire des perruques dans leurs baraques sur le port. (Archives Nationales, KK. 938.)
  2. Bouchard, qui écrivait en 1630, peint déjà les forçats allant par la ville avec leurs fers qui tintamarrent « pour vendre ce qu’ils ont fait, comme bourses, ceintures, aiguillettes, curedents, et bas de soie, laine, poil de chèvre et fil. Ils peuvent encore aller, continue-t-il, travailler de leur métier ès boutiques et vont par les hôtelleries sonnant cornets et violons durant le dîner et souper des passants, et chaque galère a sa semaine par terre pour cela, dont ils ne retirent pas peu, car chacun, à la fin du repas, met sur l’assiette que les forçats présentent au milieu de la table, qui un sol, qui trois, qui quatre et qui cinq. (Les Confessions de Jean-Jacques Bouchard, éd. Bonneau, 150.)
  3. En 1708, les réformés se plaignaient de ne pouvoir sur certaines galères obtenir d’être déferrés en payant ce sol aux argousins. (Journal des Galères, dans le Bulletin d’histoire du protestantisme français, XVIII et XIX.)