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les galères de dunkerque

que je n’en avais jamais voulu goûter : « Il a, dit-il, encore les poulets dans le ventre. Laissez-le faire. » Un soir après qu’il se fut couché dans son pavillon, il me fit appeler auprès de son lit, et me parlant doucement pour que les autres ne l’entendissent pas, il me dit qu’il voyait bien que je n’avais pas été élevé dans la crapule, et que je ne pouvais m’assujettir à ramper comme les autres, qu’il ne m’en estimait pas moins, mais que pour l’exemple il me ferait mettre dans un autre banc et que je pouvais compter que dans le travail de la galère je ne recevrais jamais un coup de lui ni de ses sous-comites. Je le remerciai de sa bonté de mon mieux, et je puis dire qu’il tint sa parole, ce qui est beaucoup, car lorsque nous naviguions ou dans d’autres manœuvres, il n’aurait pas connu son propre père et l’aurait rossé comme les autres. En un mot, c’était le plus cruel homme dans sa fonction que j’aie jamais vu, mais en même temps et hors de là très raisonnable et qui pensait toujours fort judicieusement.

Nous étions cinq réformés sur la galère, qu’il considérait tous également, et aucun des cinq n’a jamais reçu le moindre mauvais traitement de sa part. Au contraire, lorsque l’occasion s’en présentait, il nous rendait service. Le capitaine de notre galère, nommé le chevalier de Langeron Maulevrier, avait tous les sentiments jésuites. Il nous haïssait souverainement et il ne manquait pas, lorsque nous étions à ramer, le corps tout nu, sans chemise, comme c’était l’ordinaire, d’appeler le comite et de lui dire : « Va rafraîchir le dos des huguenots d’une salade de coups de corde. » Mais toujours quelque autre que nous les recevait. Ce capitaine était fort magnifique et faisait grosse dépense pour sa table, car cinq cents livres que le roi donne par mois à chaque capitaine de galère pour sa table, ne lui suffisaient pas pour la moitié de la dépense de la sienne. Les capitaines ont ordinairement à leur office ou chambre de provision, qui est pratiquée dans le fond de cale de la galère, un mousse ou gardien de cette chambre. C’est ordinairement un forçat qui a cet office. C’est un emploi fort favorable pour celui qui peut l’avoir ;