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la vie aux galères

J’étais demeuré couché sur mon peu de paille et je m’étais endormi, lorsque je fus éveillé par plusieurs coups de plat d’épée, qui portaient à plein sur mon corps, n’ayant que ma chemise et ma culotte. Je me lève en sursaut et je vois le geôlier, l’épée à la main, les quatre guichetiers, et tous les soldats du corps de garde armés jusqu’aux dents. Je demandai pourquoi on me maltraitait ainsi. Le geôlier ne me répondit que par plus de vingt coups de plat d’épée, et le guichetier au bout de chandelle me donna un si terrible soufflet qu’il me renversa. M’étant relevé, le geôlier me dit de le suivre, et voyant que c’était pour me faire encore plus mal, je refusai de lui obéir, avant que je susse par quel ordre il me traitait ainsi ; que si je le méritais, ce n’était qu’au grand prévôt à ordonner de mon châtiment. On me donna encore tant de coups que je tombai une seconde fois. Alors les quatre guichetiers me prirent, deux aux jambes et deux aux bras, et m’emportèrent ainsi, à mon corps défendant, hors du cachot, et me descendirent ou plutôt me traînèrent comme un chien mort du haut des degrés de cette tour en bas dans la cour, où étant on ouvrit la porte d’un autre escalier de pierre, qui conduisait dans un souterrain. On me fit aussitôt dégringoler ces degrés sans les compter, quoique je crois qu’il y en avait au moins vingt-cinq ou trente, et au bas on ouvrit un cachot à porte de fer, qu’on nomme le cachot de la sorcière. On m’y poussa et on ferma la porte sur moi, et puis ils s’en allèrent.

Je ne voyais non plus dans cet affreux souterrain qu’en fermant les yeux. J’y voulus faire quelques pas pour trouver quelque peu de paille en tâtonnant, mais je m’enfonçai dans l’eau jusqu’à demi-jambe, eau aussi froide que la glace. Je retournai en arrière et me plaçai contre la porte, dont le terrain était plus haut et moins humide. En tâtonnant, j’y trouvai un peu de paille, sur laquelle je m’assis ; mais je n’y fus pas deux minutes que je sentis l’eau qui traversait la paille. Pour lors, je crus fermement qu’on m’avait enterré avant ma mort, et que cet affreux cachot serait mon tombeau, si j’y restais vingt-quatre