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prissent garde que cette preuve ne fût pas équivoque et de la bien examiner. Le Parlement, qui ne voulait pas se démentir, récrivit que la preuve était complète et sans réplique. Il se passa bien quinze jours avant que les ordres définitifs de la Cour vinssent, enfin, pour nous ôter la flatteuse espérance de notre prochaine délivrance, et pour ne nous laisser plus douter de notre sort ; car le Parlement nous ayant fait comparaître devant sa pleine assemblée à la chambre criminelle, le président nous demanda si nous savions lire, et après avoir dit que oui : « Lisez donc, » dit-il après nous avoir donné la propre lettre du marquis de la Vrillière. Sa brièveté m’en a toujours fait retenir les propres termes, que voici : « Messieurs, Jean Marteilhe, Daniel Legras, s’étant trouvés sur les frontières sans passeport, Sa Majesté prétend qu’ils seront condamnés aux galères. Je suis, Messieurs, etc. Le marquis de la Vrillière. » — Voilà, mes amis, nous dirent le président et divers conseillers, votre sentence émanée de la Cour et non de nous, qui nous en lavons les mains. Nous vous plaignons et vous souhaitons la grâce de Dieu et du roi. »

Après quoi, on nous ramena au Beffroi, et, le soir même, un conseiller et le greffier du Parlement vinrent à cette prison et nous ayant fait venir dans la chambre du geôlier, le conseiller nous dit de nous mettre à genoux devant Dieu et la justice et de prêter attention à la lecture de notre sentence. Nous obéîmes, et le greffier nous lut notre sentence, portant en substance, après le préambule, ce qui suit : Avons lesdits, Jean Marteilhe et Daniel Legras, dûment atteints et convaincus de faire profession de la religion prétendue réformée et de s’être mis en état de sortir du royaume, pour professer librement ladite religion ; pour réparation de quoi, les condamnons à servir de forçats sur les galères du roi, à perpétuité, etc… La lecture de cette sentence finie, je dis au conseiller : « Comment, Monsieur, le Parlement, un corps si vénérable et si judicieux, peut-il accorder la conclusion de cette sentence avec la délibération de nous absoudre, comme il l’avait effectivement fait ? — Le Parlement, nous