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la vie aux galères

notre nom et notre patrie. Ils furent fort étonnés et nous dirent que nos parents et amis, depuis six à sept mois que nous étions partis de Bergerac, n’ayant eu aucune nouvelle de nous, nous croyaient morts ou assassinés en chemin. Enfin, nous nous embrassâmes tous quatre, en versant des larmes en abondance sur la situation où nous nous trouvions. Ces messieurs nous demandèrent si nous avions quelque chose à manger, car ils avaient faim. Nous leur présentâmes notre pauvre morceau de pain et un seau d’eau pour notre boisson. « Jésus Dieu ! s’écrièrent-ils, serons-nous traités de cette manière ? Et pour de l’argent ne peut-on pas avoir à manger et à boire ? — Oui bien, leur dis-je, pour de l’argent, mais c’est là la difficulté. Nous n’avons vu ni croix ni pile depuis près de trois mois. — Oh ! oh ! nous dirent-ils, si on peut avoir ce qui est nécessaire avec de l’argent, à la bonne heure. » En même temps, ils décousirent la ceinture de leurs culottes et les semelles de leurs souliers, et en sortirent près de quatre cents louis d’or, qui valaient vingt livres pièce. J’avoue que je n’avais jamais ressenti une si grande joie que celle que la vue de cet or me causa, me persuadant que nous ne languirions plus de faim. En effet, ces messieurs me mirent un louis d’or en main, en me priant de faire venir quelque chose à manger. Je heurte de toute ma force au guichet. Le guichetier vient et nous demande ce que nous lui voulions. « À manger, lui dis-je, pour de l’argent, et je lui donnai en même temps le louis d’or. — Fort bien, Messieurs, dit-il, que souhaitez-vous avoir ? Voulez-vous de la soupe et le bouilli ? — Oui, oui, lui dis-je, une bonne grosse soupe et un pain de dix livres et de la bière. — Vous aurez tout cela dans une heure, dit-il. — Dans une heure ? dis-je, que ce temps est long ! » Ces deux messieurs ne purent s’empêcher de rire de mon empressement à vouloir manger. Enfin, l’heure tant désirée arriva. On nous apporta une grosse soupe aux choux dont six Limousins des plus affamés se seraient rassasiés ; de plus un plat de viande bouillie et un grand pain de dix livres. Ces deux messieurs mangèrent fort peu : ils avaient, comme on dit,