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une condamnation aux galères

religion réformée, il coupait tout court : « À une autre fois, » disait-il, et s’en allait. Cependant, nous devînmes si maigres et exténués que nous ne pouvions plus nous soutenir et bien nous en prenait d’être couchés sur un peu de paille pourrie et remplie de vermine auprès de la porte de notre cachot, par le guichet de laquelle on nous jetait notre pain comme à des chiens, car si nous eussions été éloignés de la porte, nous n’aurions pas eu la force de l’aller prendre, tant nous étions faibles. Dans cette extrémité, nous vendîmes au guichetier pour un peu de pain nos justaucorps et vestes, de même que quelques chemises que nous avions, ne nous réservant que celle que nous avions sur le corps, qui fut bientôt pourrie et en lambeaux.

Voilà la situation où nous fûmes dans les prisons du Parlement de Tournai pendant près de dix-sept semaines ; au bout desquelles, un matin, sur les neuf heures, le guichetier nous jeta par le guichet un balai, en nous disant de bien balayer notre cachot, parce que dans le moment on y amènerait deux gentilshommes qui nous tiendraient compagnie. Nous lui demandâmes de quoi ils étaient accusés. « Ce sont, dit-il, des huguenots comme vous, » et il nous quitta. Un quart d’heure après, la porte de notre cachot s’ouvrit, et le geôlier et quelques soldats armés d’épées et de mousquetons y conduisirent deux jeunes messieurs, galonnés de la tête aux pieds. Dès que cette escorte eut fourré ces messieurs dans notre cachot, ils fermèrent la porte et s’en allèrent. Nous reconnûmes d’abord ces deux messieurs, étant deux de nos compatriotes, fils de notables bourgeois de Bergerac, avec lesquels nous étions grands amis, ayant été camarades d’école. Pour eux, ils n’avaient garde de nous reconnaître. La misère où nous étions nous rendait absolument méconnaissables. Nous fûmes les premiers à les saluer, les nommant par leur nom. L’un s’appelait Sorbier, l’autre Rivasson ; mais ils s’étaient gentilhommisés : Sorbier se faisait appeler chevalier et Rivasson marquis, titres qu’ils avaient pris pour favoriser leur sortie de France. S’entendant nommer en notre patois, ils nous demandèrent qui nous étions. Nous leur dîmes