Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
la vie aux galères

n’entendions pas, d’où il venait, où il allait et qui nous étions. À ce dernier article le cocher ne savait que répondre, car pour éviter les empressements charitables des protestants par les villes que nous devions passer, nous avions défendu au cocher de dire que nous venions des galères. Le cocher, donc, fut fort étonné de la demande du capitaine, vu que la chose n’était pas d’usage à Berne et, craignant quelque mauvaise affaire, se tourna vers nous tout effaré, et nous dit : « Messieurs, je ne puis éviter de dire qui vous êtes ». Nous lui dîmes qu’il n’avait qu’à le faire. Ce qu’ayant fait, le capitaine lui ordonna de suivre une escorte qu’il lui donna de quatre soldats et d’un sergent. L’alarme redoubla à notre cocher, qui était un bon Allemand, et qui crut fermement qu’on allait l’arrêter avec sa voiture. Il ne cessait de se justifier à l’escorte, disant qu’il n’avait rien commis ni contre l’État ni contre personne. Le sergent, pour s’en divertir, lui mettait de plus en plus la puce à l’oreille jusqu’à ce que cette escorte nous ait conduits à l’auberge nommée Le Coq. C’est lieu où les ambassadeurs et autres seigneurs de distinction sont défrayés par l’État. Étant descendus, nous y trouvâmes le secrétaire d’État, qui nous souhaita la bienvenue d’une manière aussi tendre que si nous eussions été ses propres enfants. Il nous dit qu’il était secrétaire d’État : il fit bien de nous le dire, parce que nous ne l’aurions jamais connu pour tel, ni à ses habits, ni à son équipage, tant il y a peu de différence dans ces pays-là entre les bourgeois et les seigneurs. Il ajouta qu’il avait ordre de nous tenir compagnie et de nous défrayer avec distinction, tout le temps qu’il nous plairait de rester à Berne. Nous fûmes magnifiquement traités dans cette auberge, et le secrétaire, qui ne nous quittait que le soir, nous occupa pendant quatre jours à visiter Leurs Excellences de Berne, depuis le grand avoyer jusqu’au moindre seigneur de cette régence. Nous fûmes partout reçus et caressés. On nous pria d’une manière toute pleine de bonté de les honorer (c’est ainsi qu’ils s’exprimaient) de notre présence dans leur ville pendant quelques semaines, et aussi longtemps que nous souhaite-