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la vie aux galères

que nous ne savions pas les chemins et qu’il était presque impossible que nous suivions le véritable, puisque plus nous avancerions, plus il s’en présenterait ; et que n’ayant ni village, ni maison dans ce bois, nous courions risque de nous y égarer tellement que nous y errerions pendant douze ou quinze jours ; qu’outre les animaux voraces dont cette forêt était remplie, si la gelée continuait, nous y péririons de froid et de faim. Ce discours nous alarma, ce qui fit que nous offrîmes un louis d’or à ce paysan, s’il voulait nous servir de guide jusqu’à Charleroi. « Non pas, quand vous m’en donneriez cent, nous dit-il. Je vois bien que vous êtes huguenots et que vous vous sauvez de France, et je me mettrais la corde au cou, si je vous rendais ce service. Mais, dit-il, je vous donnerai un bon conseil : laissez les Ardennes. Prenez le chemin que vous voyez sur votre gauche. Vous arriverez dans un village, vous y coucherez et, demain matin, continuez votre route en tenant la droite de ce village. Vous verrez ensuite la ville de Rocroy que vous laisserez sur votre gauche ; et en poursuivant votre chemin, toujours sur la droite, vous arriverez à Couvin[1], petite ville. Vous la traverserez et en sortant vous trouverez un chemin sur votre gauche. Suivez-le, il vous mènera à Charleroi sans péril. La route que je vous indique, continua ce paysan, est plus longue que celle par les Ardennes, mais elle est sans aucun danger. » Nous remerciâmes ce bon homme et suivîmes son conseil. Nous arrivâmes le soir au village dont il nous avait parlé. Nous y couchâmes et, le lendemain matin, nous trouvâmes le chemin sur la droite, qu’il nous avait indiqué. Nous le prîmes et laissâmes Rocroy sur notre gauche, mais le bon paysan ne nous avait pas dit que ce chemin nous menait droit à une gorge entre deux montagnes, qui était fort étroite et où il y avait un corps de garde français, qui arrêtait tous les étrangers, qui y pas-

  1. L’édition de 1778 porte Couvé. Il s’agit évidemment de Couvin, bourg de la province de Namur, à 19 kilomètres au nord de Philippeville.