Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.
164
la vie aux galères

Marseille d’envoyer en Cour une liste de tous les protestants qui étaient sur les galères, ce qui fut exécuté et, peu de jours après, vers la fin de mai, l’ordre vint audit intendant de faire délivrer 136 de ces protestants dont on envoya la liste nom par nom[1]. On ne sait pas par quelle politique la Cour ne fit pas délivrer tout, car nous étions au-delà de 300 souffrant pour la même cause. Cependant, les autres ne furent délivrés qu’un an après. L’intendant, d’ailleurs, tint secret l’ordre qu’il avait de délivrer ces 136 protestants, mais, dès le lendemain, nous en fûmes informés secrètement par un homme de l’intendant, qui nous fit tenir sur la Grande Réale à diverses reprises les noms de ceux qui étaient sur la liste. Je fis du mauvais sang dans ce temps-là ; j’étais le dernier nommé et, comme on nous envoya cette liste par lambeaux, je fus trois jours dans la plus grande inquiétude du monde, ignorant si j’y étais ou non. Enfin, je fus consolé comme les autres participants de cette faveur, mais jugez de l’affliction de nos autres frères qui ne s’y trouvaient pas. Ils se consolaient cependant, en quelque manière, dans l’espérance que leur tour viendrait, puisque la reine d’Angleterre nous avait tous demandés et obtenus. Mais que ne souffre-t-on pas entre la crainte et l’espérance !

Nous fûmes pendant trois semaines dans le même cas, nous 136, c’est-à-dire entre la crainte et l’espérance, car celui qui nous avait envoyé la liste nous fit savoir en même temps que les missionnaires avaient écrit en Cour pour tâcher de faire retirer ces ordres et empêcher

  1. L’intendant de la marine à Marseille était alors Pierre Arnoult, seigneur de Rochegude, intendant général des galères, qui mourut en 1719. C’est le 5 avril que le secrétaire d’État à la marine lui demanda un rôle général de tous les religionnaires. Il renouvela sa demande le 3 mai. C’est Rozel, Nîmois, d’une famille alliée à des réformés, — suspecté d’avoir favorisé François de Pelet, baron du Salgas, envoyé aux galères par l’intendant Lamoignon, — qui proposa de restreindre les libertés. L’ordre de la Cour est en date du 17 mai : il comprenait 187 « religionnaires obstinés » et 47 nouveaux convertis. Peut-être Rozel, compromis par ses relations, était-il forcé de donner des gages au père Garcin.