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qui ne manqueront pas de vous venir voir, et mes portes leur seront toujours ouvertes. » Il ordonna ensuite à ses guichetiers de nous déferrer et de nous laisser seulement nos chaînes ordinaires pendant qu’il nous allait chercher des rafraîchissements. Le lendemain, il nous tint parole et nous amena plusieurs personnes de la religion réformée, qui bientôt rendirent publique la nouvelle de notre arrivée, de sorte que, ce jour-là, notre cachot, qui était assez grand, ne désemplit pas. Leur ardeur fut si grande qu’une partie de ces messieurs voulaient absolument — après en avoir demandé la permission au capitaine d’armes — nous conduire publiquement à notre départ, jusqu’à une lieue de la ville, pour nous aider à porter nos chaînes sur leurs épaules, ce que nous ne voulûmes jamais souffrir tant par l’humilité dont nous faisions profession que pour leur épargner de s’attirer de mauvaises affaires.

Nous partîmes donc de Rouen, toujours en chariot. Je ne puis assez exprimer les bontés que nous témoigna notre capitaine pendant cette route, car, outre les gratifications qu’il reçut à Rouen de nos amis, il se persuadait fermement que nous étions des saints favorisés de Dieu et que nous avions le don de prophétie. Lorsque l’argousin prenait ses précautions ordinaires, soit en visitant nos chaînes ou autrement, il lui disait qu’il prenait des soins inutiles, et que nous voulions bien aller volontairement où le roi voulait, qu’autrement ni ses précautions ni toutes celles des hommes ne nous sauraient tenir. Nous avions beau vouloir le désabuser de cette opinion, nous ne pouvions le dissuader qu’il y avait en nous du surnaturel.