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les galères de dunkerque

Le commis ne demanda pas son reste, referma la caisse et passa la porte.

Dès que nous fûmes installés dans notre nouvelle habitation, l’on nous ôta la grande chaîne qui nous tenait tous ensemble, nous laissant seulement celle qui nous accouplait deux à deux. L’intendant était tellement prévenu en notre faveur qu’il eut l’attention de nous demander si nous étions contents de nos gardes. Nous lui dîmes que nous n’avions reçu d’eux pendant la route que tout le bon traitement qu’ils avaient pu nous donner. « Eh bien, dit-il, je vous les laisse. » Et en même temps, il établit leur corps de garde dans une chambre qui était vis-à-vis la nôtre et nous fit apporter du pain de sa table, nous disant que c’était là le pain de munition qu’il nous destinait. Nos protecteurs lui dirent que dorénavant, avec sa permission, ils prendraient soin de nous fournir la nourriture et lui demandèrent avec instance qu’il leur fût permis de nous venir voir de temps en temps. Là-dessus l’intendant appela le capitaine d’armes et lui ordonna de laisser entrer tous les jours dans notre chambre indifféremment tous ceux qui se présenteraient depuis neuf heures du matin jusqu’à huit heures du soir et de n’empêcher aucun de nos exercices de piété. Le capitaine d’armes se conforma à ces ordres et, dès lors, notre chambre ne désemplissait pas de personnes de tout sexe et de tout âge. Nous faisions la prière soir et matin et après avoir lu de bons sermons que nous avions avec nous, nous chantions des psaumes, de sorte que notre prison n’avait pas mal l’air d’une petite église[1].

Le quinzième jour de notre résidence au Havre, sur les

  1. L’émotion causée parmi les nouveaux convertis du Havre par le passage de la chaîne des religionnaires est constatée par une lettre de M. de Vivier, lieutenant de roi en cette ville. Le secrétaire d’État de la Marine s’en émut « M. de Vivier, écrivait-il le 2 novembre à Champigny, mande que ces religionnaires ont attiré l’attention de ceux de la ville sur eux. Il convient de les faire partir du Havre sans en avertir et que ce soit à la pointe du jour pour éviter tout incident et vous recommanderez au capitaine d’armes de régler la journée qu’il arrivera à Paris, de manière qu’il n’y entre qu’à la nuit commençant. » (Archives de la Marine, B6 45.)