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les galères de dunkerque

venais de lui dire, ce qui le détermina à prendre le parti que je lui conseillais. Les paysans lui fournirent deux chariots jusqu’à la première couchée et ainsi jusqu’au Hâvre-de-Grâce.

Ce capitaine d’armes était un bon homme, qui n’avait pas inventé la poudre. On lui avait fait faire serment à Dunkerque de ne point déclarer, ni à nous ni à qui que ce soit, l’endroit où il avait ordre de nous rendre. La crainte que quelque parti de la garnison d’Aire, qui faisait des courses jusqu’à Calais et à Boulogne, ne nous enlevât, avait fait prendre cette précaution. Or, un jour, étant en chemin, ce capitaine, qui allait toujours à cheval, s’approcha du chariot où j’étais et lia conversation avec moi. En parlant de choses indifférentes, je lui demandai le lieu de notre destination. Voyant qu’il faisait le réservé, je lui dis que cela était inutile, puisque je le savais aussi bien que lui. Il me défia de le lui dire, ce que je fis sur-le-champ, en lui récitant ce que j’avais vu et lu à la fin de la route qu’il m’avait montrée avant de débarquer à Calais. Ce bon homme, n’ayant point fait attention au coup d’œil que j’avais alors jeté sur le dernier article, fut si étonné de me voir aussi savant que lui sur ce sujet, n’ayant personne de sa troupe qui sût son secret, qu’il me demanda naïvement si j’étais sorcier ou prophète. Je lui dis que j’étais trop honnête homme pour être sorcier et trop grand pécheur pour être prophète. « D’ailleurs, lui dis-je, il n’y a personne de nous qui n’en sache autant que moi à cet égard et vous faites un grand secret d’une chose qui est publique parmi nous. » Je le raillai un peu sur sa prétendue circonspection et je remarquai, par les précautions qu’il prenait tous les jours, qu’il croyait sérieusement qu’il y avait en nous du surnaturel. Nous n’eûmes cependant pas lieu de nous plaindre de lui pendant la route, étant au contraire fort exact à nous faire donner l’étape à chaque logement comme aux soldats de recrue ; mais, ne pouvant agir outre ses ordres, il ne pouvait nous donner pour logement que des prisons ou des écuries, s’il ne se trouvait pas de prison dans l’endroit où nous arrivions.