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la vie aux galères

plus de sûreté et de facilité que mon Turc s’entendait fort bien à faire les commissions dont je le chargeais et que nous avions, d’ailleurs, sur la galère un aumônier qui était fort raisonnable à notre égard.

Aux mauvais traitements, que nous avions d’abord eu à essuyer, succédèrent des procédés obligeants pour nous tous, et particulièrement pour moi, surtout depuis que je fus devenu écrivain de M. de Langeron, emploi qui me fournissait souvent l’occasion de converser avec lui. Pendant les trois dernières années que je restai à Dunkerque, où les galères furent toujours désarmées, il ne se passait presque point de jour qu’il ne vînt sur la galère, où nous passions une heure ou deux ensemble, sans parler de religion, du moins fort peu. C’était un homme savant et bon prédicateur ; et, comme par le moyen de mes amis, je recevais souvent des livres de piété de la Hollande, entre autres divers tomes des sermons de feu M. Saurin[1], il me demanda un jour si je n’avais pas quelques sermons de nos auteurs à lui prêter. Quoique cette demande me parût suspecte, je hasardai cependant de lui en prêter et je débutai par un tome des ouvrages de M. Saurin, qu’il me rendit ponctuellement. Il y trouva tant de goût qu’ensuite je lui prêtais tous les livres que j’avais, même les Préjugés légitimes contre le papisme, de M. Jurieu[2]. Un jour, dans la conversation, il me demanda, si nous autres réformés, ne recevions pas de l’argent de Hollande. Je jugeai à propos de lui parler négativement sur cet article par la crainte que j’avais des conséquences. M. Pénétrau pensa un jour me perdre. Il reçut ordre d’Amsterdam de me compter cent écus, et il en avait, sous son couvert, la lettre d’avis pour me remettre. Il se trouva que ledit sieur était dérangé dans ses affaires, et pour ne pas montrer la corde à son correspondant d’Amsterdam, il voulut cher-

  1. Jacques Saurin, théologien et sermonaire réformé (1677-1730). Le premier volume des Sermons parut en 1708, à La Haye ; le second en 1712.
  2. Pierre Jurien (1637-1713). Les Préjuges légitimes furent publiés en 1685.