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la vie aux galères

monde. » Je le remerciai de mon mieux des bontés qu’il me témoignait. Il continua ainsi : « Je suis assez embarrassé comment je me comporterai dans cette affaire pour n’avoir pas à dos l’aumônier, qui ne souffrira pas impunément que je favorise un huguenot. Je pense cependant à un moyen qui réussira, j’espère, continua-t-il. L’écrivain de M. de Langeron, notre commandant, est mort et il est en peine d’en avoir un autre. Je m’en vais lui proposer de vous prendre et je le ferai d’une manière que je suis persuadé qu’il le fera. Vous serez par là non seulement exempt du travail, mais même respecté d’un chacun et moi à l’abri de la censure de l’aumônier. Allez-vous en au paillot, me dit-il. On vous fera bientôt appeler. » Le comite fut sur-le-champ parler à M. de Langeron. Il lui fit valoir qu’il y avait un homme dans le sixième banc, se disant estropié d’un bras, et que lui qui parlait l’avait fait passer par l’épreuve à force de coups de corde, mais que, n’en pouvant rien tirer, il l’avait fait ôter du banc à cause qu’il embarrassait et empêchait ses camarades de voguer. Là-dessus M. de Langeron lui demanda par quel sort j’avais été estropié. « Par les blessures, répondit le comite qu’il a reçues à la prise du Rossignol, devant la Tamise. — Eh ! d’où vient, dit le commandant, qu’il n’a pas été délivré comme les autres ? — C’est, dit le comite, qu’il est huguenot. Mais, ajouta le comite, ce garçon sait écrire et se comporte très bien ; et je crois, puisqu’il vous manque un écrivain, qu’il serait votre fait. — Qu’on l’appelle ! » dit le commandant. On m’appela sur-le-champ. D’abord qu’il me vit, il me demanda si je n’étais pas ami de M. Piécourt. Je lui dis que oui. « Eh bien ! vous serez mon écrivain, dit-il. Qu’on le mette au paillot et que personne n’ait rien à lui commander que moi. »

Me voilà donc installé écrivain du commandant. Je savais qu’il aimait la propreté. Je me fis faire un petit habit rouge[1] ; je me fis faire du linge un peu fin. J’eus la

  1. Les galériens étaient habillés de rouge. C’est sous ce costume que Louis de Marolles se peint dans une jolie lettre à sa femme : « Si tu