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les galères de dunkerque

grande, tant parmi les officiers que l’équipage, que tous tendaient la gorge à l’ennemi qui, voyant notre terreur, fit pour surcroît une sortie de quarante ou cinquante hommes de son bord, qui descendirent sur la galère le sabre à la main et hachaient en pièces tout ce qui se trouvait devant eux de l’équipage, en épargnant cependant les forçats, qui ne faisaient aucun mouvement de défense. Après donc qu’ils eurent haché comme des bouchers, ils rentrèrent dans leur frégate, continuant de nous canarder avec leurs mousqueterie et grenades.

Il se rencontra que notre banc, dans lequel nous étions cinq forçats et un esclave turc, se trouva vis-à-vis d’un canon de la frégate, que je voyais bien qui était chargé. Nos bords se touchaient. Par conséquent ce canon était si près de nous qu’en m’élevant un peu, je l’eusse pu toucher avec la main. Ce vilain voisin nous fit tous frémir. Mes camarades de banc se couchèrent tout plat, croyant échapper à son coup. En examinant ce canon, je m’aperçus qu’il était pointé ce qu’on appelle à couler bas et que, comme la frégate était plus haute du bord que la galère, le coup porterait à plomb dans le banc et qu’étant couchés, nous le recevrions tous sur nos corps. Ayant fait cette réflexion, je me déterminai à me tenir tout droit dans le banc. Je n’en pouvais sortir, j’y étais enchaîné, que faire ? Il fallut se résoudre à passer par le feu de ce canon et, comme j’étais attentif à ce qui se passait dans la frégate, je vis le canonnier avec sa mèche allumée à la main, qui commençait à mettre le feu au canon sur le devant de la frégate et, de canon en canon, venait vers celui donnant sur notre banc. J’élevai alors mon cœur à Dieu et fis une courte prière, mais fervente, comme un homme qui attend le coup de la mort. Je ne pouvais distraire mes yeux de ce canonnier, qui s’approchait toujours de notre canon à mesure qu’il tirait les autres. Il vint donc à ce canon fatal. J’eus la constance de lui voir mettre le feu, me tenant toujours droit, en recommandant mon âme à Dieu.

Le canon tira et je fus étourdi tout à coup et couché non dans le banc, mais sur le coursier de la galère, car