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la vie aux galères

ment le courage. Celle de la frégate augmenta celui de notre équipage, qui se mit à crier aux gens qui la montaient qu’ils étaient des lâches d’éviter le combat, mais qu’il n’était plus temps, et que, s’ils n’amenaient pas leur pavillon pour se rendre, on les allait couler à fond. L’Anglais ne répondit rien, mais se préparait à nous donner une sanglante tragédie. La frégate, qui feignait de prendre la fuite, nous tournait le derrière et nous la donnait belle pour sauter à l’abordage : car la manœuvre d’une galère qui veut attaquer un navire et s’en emparer est de porter sur le derrière du navire (qui est le côté le plus faible) son devant où elle a toute sa force et son artillerie. Elle fait en sorte d’y enfoncer sa proue, fait feu ; de ses cinq pièces de canon, et aussitôt on monte à l’abordage. Le commandant de la galère ordonna d’abord cet abordage, croyant en faire de même avec cette frégate, et recommanda à celui qui était au gouvernail de viser droit à elle pour l’enfoncer de notre éperon. Tous les soldats et matelots, destinés pour sauter à bord, se tenaient prêts avec le sabre nu et la hache d’armes à la main lorsque la frégate, qui avait prévu notre manœuvre, esquiva d’un coup de gouvernail notre éperon qui était prêt d’enfoncer sa poupe. Mais la hardiesse du capitaine anglais fut admirable, comme il avait prévu cet événement, il s’était tenu tout prêt avec ses grappins, au moyen desquels il nous accrocha et nous attacha contre son bord. Ce fut alors qu’il nous régala de son artillerie. Tous ses canons étaient chargés à mitraille. Tout le monde était à découvert sur la galère comme un pont ou radeau. Pas un coup de son artillerie qu’il nous tirait à brûle-pourpoint ne se perdait, mais faisait un carnage épouvantable. De plus, ce capitaine avait sur les hunes de ses mâts plusieurs de son monde, avec des barils pleins de grenades, qui nous les faisaient pleuvoir comme de la grêle sur le corps, si bien que dans un instant tout notre équipage fut mis hors d’état non seulement d’attaquer, mais même de faire aucune défense. Ceux qui n’étaient ni morts ni blessés s’étaient couchés tout à plat pour le contrefaire et la terreur était si