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Mme  Laravine, ils étaient mariés et ils faisaient partie, en quelque sorte, de la famille de ces dames ; j’ai tant entendu répéter ce nom, qu’après plus de quarante ans je ne l’ai point encore oublié.

Ces deux braves gens étaient de ces domestiques de race comme il y en avait encore alors ; gens nés au service d’une maison, et qui y mouraient, fiers de leur livrée comme d’un blason ; attachés à leurs maîtres quand même, et qui préféraient, ainsi que cela s’est vu pendant la première Révolution, les nourrir du prix de leur travail, au crève-cœur de ne plus leur appartenir. Ils étaient devenus les amis de leurs maîtresses, car, dans les malheurs de cette époque, c’était la vieille fidélité qui supprimait les distances et les titres entre maîtres et valets, et non point l’article d’une loi ridicule. Les maîtres, disons-le aussi pour être juste, prenaient dans ce temps plus d’intérêt à leurs domestiques qu’on ne le fait de nos jours ; ils accouraient quand il y avait un malheur à réparer, ils les soignaient dans leurs maladies et donnaient des aises à leur vieillesse. Actuellement, si l’on a un serviteur d’une santé délicate et que son service en souffre, on lui donne huit jours pour se pourvoir d’une autre place. C’est le progrès.

La maison de ma grand’mère était fort modeste, et la police la plus ombrageuse n’aurait jamais soupçonné que cet asile pût renfermer deux aristocrates proscrites. Elles ne furent pas inquiétées un seul instant pendant les deux années qu’elles passèrent chez