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comme la gueule d’un canon ennemi ; une agitation nerveuse, bizarre, qui ne la quitte jamais, lui donne quelque ressemblance avec ces petites figures à ressort que l’on voit sur les orgues d’Italie et dont tous les mouvements saccadés s’opèrent au son mélancolique de cet instrument. La baronne d’Alt, dont l’ensemble est assez agréable, marche en sautillant, danse et valse en sautillant, parle en sautillant, boit et mange en sautillant ; on ne devine pas ce qu’elle pourrait faire sans sautiller. Cette première impression d’une femme mécanique un peu passée, on trouve en Mme  d’Alt une personne de distinction, polie, d’un caractère égal, bienveillant, et toujours aussi prévenante la veille que le lendemain. Mariée, dit-on, à un petit homme laid et difforme qu’elle n’avait sans doute pas ainsi rêvé dans ses illusions de jeunesse, Mme  d’Alt peut avoir de trente-quatre à trente-cinq ans. Sans être jolie, elle a dans son balancement perpétuel, dans son regard quêteur, dans toute sa personne enfin, quelque chose qui plaît et attire. Oh ! je l’ai vue bien émue, bien tourmentée, un certain jour. C’était au Schwarbach, cette auberge isolée au milieu du désert de la Gemmi, quand le comte de Castella, beau colonel suisse, fut saisi d’un subit étourdissement et qu’il resta quelques minutes sans recouvrer sa connaissance. Mais, chut ! n’allons pas trouver du mal dans l’explosion d’une inquiétude qui, toute vive qu’elle était, ne décelait sans doute qu’un louable sentiment d’intérêt et de crainte pour un compatriote de ses amis.