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faisant signe à mon frère de m’attendre un moment. Je n’étais pas à cent pas de lui que le spectacle le plus inattendu s’offrit à mes yeux. Monseigneur de Toulouse, qui avait fait demander au Roi la permission de suivre la chasse, déjeunait sous une tente élégante avec deux ou trois abbés de sa suite et plusieurs officiers de la vénerie. J’aperçus distinctement le noble prélat et ses pieux convives autour d’une table chargée de volailles, de gibier et de viandes froides de toute sorte, le vin coulait à flots dans des gobelets d’argent et une gaieté des plus folles se traduisait par de bruyants éclats. Non, jamais surprise ne fut égale à la mienne ; je regardais, je regardais encore, et quand je me fus bien assuré que je n’étais pas le jouet d’une illusion, je me hâtai de rejoindre mon frère qui ne demeura convaincu, à son tour, qu’après avoir lui-même vérifié le fait.

Qu’on se figure alors les réflexions que cette conduite scandaleuse d’un des plus hauts dignitaires de l’Église fit naître en notre esprit à une époque où les gens de notre classe, moins éclairés qu’aujourd’hui, auraient regardé comme une énorme faute la moindre infraction aux saints devoirs. Les volailles de Monseigneur de Toulouse bouleversèrent mes idées de fond en comble, mes sentiments religieux s’évanouirent et, dès lors, je n’ai pu me résoudre à faire maigre le vendredi ni à retourner m’agenouiller dans un confessionnal. Je ne dis pas certes que j’aie eu raison d’agir ainsi, mais j’étais jeune, impressionnable et ardent ;