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Mon père, dont les rapports avec la capitale étaient fort nombreux, avait l’habitude, pour que ses commissions fussent faites avec régularité, de choisir, parmi les courriers de la malle desservant la route de Paris à Besançon, celui d’entre eux que son ami le directeur de la poste, M. Gauffre, lui désignait comme le plus intelligent et le plus actif. Le dernier de ces courriers que j’ai vus à la maison s’appelait Décageux.

C’était un homme d’une soixantaine d’années ; il avait l’habitude de la bonne compagnie et son excellente tenue l’aurait fait prendre aisément pour un préfet en visite, s’il eût porté à sa boutonnière la rosette classique d’officier de la Légion d’honneur. Je le vois encore se promenant à Granvelle, vêtu d’un habit gris de souris effrayée et manœuvrant avec une grâce d’autrefois l’élégante badine qu’il avait à la main. Le père Décageux, comme nous le nommions toujours, était dans sa toilette d’une recherche extrême ; gai de nature, il savait beaucoup d’anecdotes curieuses qu’il racontait avec esprit, tout en laissant échapper de temps à autre de ces cuirs fastueux qui révèlent bien vite l’oubli d’une éducation première. Voici une de ces anecdotes narrée par lui-même :

« J’étais, en 1787, piqueur chez M. le comte de Provence. Une grande chasse à laquelle devaient assister le Roi et toute la cour avait été ordonnée à l’occasion, je crois, de l’arrivée d’un prince étranger à Paris. On devait se réunir dans la forêt de Bondy. où un pavillon rustique, fort élégamment décoré à l’intérieur, avait