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jaloux les lions de cette époque. Il portait ses habits comme on les avait au temps du Directoire, c’est-à-dire à taille très basse, à larges basques, et d’une ampleur outrée sur la poitrine, qui demeurait toujours ensevelie sous les flots d’une riche dentelle. Ce vieillard avait nom M. de la Meilleraye ; il appartenait à la famille du duc de la Meilleraye, grand maître de l’artillerie sous Louis XIII et sous Louis XIV, qui se distingua dans les guerres du comté de Bourgogne et qui reçut, en 1639, le bâton de maréchal, des mains du roi, sur la brèche de Hesdin.

M. de la Meilleraye était fort laid, sa tête grosse et difforme était couverte d’une épaisse chevelure inondée de poudre, à laquelle appendait une petite queue qui se tordait coquettement, à la manière de celle d’un chien carlin ; son visage, d’un rouge audacieux, était profondément sillonné par les ravages de la petite vérole, et au milieu de sa face rebondie s’étalait avec assurance un nez aux vastes proportions, que surmontaient deux petits yeux, gais, hardis, moqueurs, et qui s’agitaient sans cesse dans leurs orbites trop étroites.

Malgré ce portrait peu séduisant, il y avait tant d’esprit, tant de mouvement dans la physionomie de M. de la Meilleraye, qu’on en oubliait bien vite la laideur pour suivre sa conversation pétillante comme de la mousse de Champagne. Elle était très amusante, en effet, et aussi très instructive ; il avait passé sa vie dans le monde le plus élégant, le plus spirituel de Paris, et comme il était fort aimé, fort discret, il avait