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de l’esprit, écrit avec facilité, fait des vers avec grâce ; il aime la société, où il a du succès ; il n’est pas content de ce qu’il a ; il ne se trouve pas bien où il est, et je ne puis l’en blâmer, car il a les moyens nécessaires pour remplir une place supérieure à celle qu’il possède, et, pour les hommes qui valent quelque chose, c’est un tourment de tous les jours que de se sentir resserré dans une sphère où l’on ne peut déployer ni son âme ni son esprit. »

Ernest des Touches, qui est mort fou, à l’âge de trente-quatre ans, dans la maison de santé du docteur Esquirot, était un officier de mérite, d’une bravoure éprouvée, et dont l’avenir devait être des plus brillants. Homme de cœur, libéral, généreux, d’une obligeance extrême, il m’avait toujours témoigné de l’affection, et la nouvelle de sa mort m’a causé, dans le temps, un chagrin réel et profond. Ernest avait déjà donné, à plusieurs reprises, lorsque j’étais à Versailles, des preuves d’exaltation qui annonçaient un certain dérangement, très momentané sans doute, dans les idées, et si, à l’époque dont je parle, on eût attaché plus d’importance aux faits que je vais rapporter, et qui, heureusement, demeurèrent secrets, on eût certainement prédit que tout cela finirait par une démence caractérisée.

Dans les premiers jours d’août 1818, Ernest vint passer un semestre à Versailles. Là il devint éperdument amoureux d’une Anglaise charmante et spirituelle, qui avait pour amant un capitaine des cuirassiers de