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glise cathédrale de Saint-Jean, à Besançon. Garçon vigoureux, aux épaules larges, à la poitrine puissamment développée, aux allures un peu gênées, un peu sauvages des montagnes du Jura, il avait une voix timbrée, retentissante, et, bien qu’il beuglât parfois en chantant, il était devenu avec l’âge passionné pour la musique. Le jour de son arrivée à Paris, il se hâta donc, après avoir fait un bon dîner chez Grignon, de se rendre à l’Opéra. Arrivé un des premiers, il prit un billet d’amphithéâtre et alla se placer au centre de l’hémicycle, le dos commodément appuyé contre une des premières loges. On donnait Œdipe à Colone. Au premier morceau, des élégants et des élégantes qui venaient d’entrer bruyamment dans la loge placée derrière notre avocat, se mirent à causer tout haut, sans la moindre gêne. Alors, Curasson se retourna vers eux, et leur dit avec une politesse toute naïve, toute provinciale : « Messieurs, j’arrive du fond de la Franche-Comté pour entendre cette délicieuse musique de l’Opéra, et vous m’empêchez de jouir du spectacle. De grâce, ayez la bonté de vous taire. »

Les quatre jeunes gens, après avoir échangé un fin coup d’œil d’intelligence, inclinèrent la tête en signe d’assentiment et se turent. La demande avait été tellement suppliante que des gens bien élevés ne pouvaient manquer de l’accueillir. Mais les deux femmes étaient si jolies, leurs yeux si veloutés, si caressants, et puis, l’herbe était si tendre, qu’un quart d’heure après, la recommandation du provincial était oubliée et que la