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chambres au second sur la cour dans notre grande maison des Carmes, à Besançon, et c’est là que nous nous tenions pour nous amuser. Voici en quoi consistait notre jeu préféré. Après nous avoir rangés sur une seule ligne, mon frère Achille distribuait à chacun de nous un fusil, un sabre ou une épée, et cette distribution était d’autant plus facile que nous avions dans nos appartements un musée d’artillerie presque complet. Cela fait, on se séparait en deux troupes à peu près égales ; chacune d’elles nommait son chef, puis on se rangeait en assiégeants et assiégés ; les assiégés occupaient le palier de l’escalier de notre étage, les assiégeants prenaient place sur le palier inférieur. Une fois posté, on se ruait les uns sur les autres avec une impétuosité, ou plutôt une étourderie sans pareille, et il en résultait une épouvantable bagarre. Certain jour, le général Marulaz, venant rendre visite à ma mère, tomba en plein combat ; il s’amusa un instant à regarder ce spectacle qui flattait ses goûts, puis, s’intéressant à la lutte, il se mit à exciter les troupes. À ce moment, les assiégés avaient tenté une sortie vigoureusement repoussée ; Achille hurlant, rouge, les cheveux en désordre, dirigeait les assiégeants et essayait de frapper avec son sabre le chef ennemi qui, placé sur les marches supérieures de l’escalier, avait perdu son arme dans la mêlée et se défendait, de dos, à grands coups de pied. Ce héros, devenu depuis un grave et placide magistrat, luttait vigoureusement, mais il fut obligé de céder devant l’attaque terrible des assiégeants dirigée