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UNE SEMAINE D’OURAGAN RÉVOLUTIONNAIRE

poteaux télégraphiques. À l’angle de deux rues, dans une tchaïnaya à la devanture peinturlurée de couleurs éclatantes, mais délavées par les pluies, on sert gratuitement aux soldats du thé et du pain. Nous déposons notre offrande dans une petite caisse gardée par deux jeunes filles et je monte délibérément les quatre marches de pierre qui conduisent à la tchaïnaya.

Fumée, bruit et poussière… À travers l’atmosphère lourde, empuantie de tabac, de relent humain et de cuir de bottes, je distingue une salle, peut-être vaste, mais coupée en compartiments par de massifs piliers carres qui se rejoignent en cintre, a la manière des églises romanes, — avec l’art, en moins… Derrière un comptoir, où le samovar en resplendissante robe de cuivre a l’air d’une princesse fourvoyée dans un mauvais lieu, des matrones étalent leur rotondité. Les petites servantes, plus agiles, le torchon noué autour de la taille, portent de place en place le thé fumant et les assiettées de pain noir. Autour des tables sans nappes, le fusil posé entre leurs jambes ou à côte deux, des soldats boivent, et mangent, bavardent et