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tend qu’à me faire sortir d’ici avec la haine et le courroux de tout le monde ; si vous l’exécutez, trouvez bon qu’en revanche je retire toutes mes paroles avec vous, et que je dise à M. Orgon que je suis prêt de vous épouser quand on le voudra, dès aujourd’hui, s’il le faut.

Lucile.

Oui-da, monsieur, le prenez-vous sur ce ton menaçant ? Oh ! je sais le moyen de vous en faire prendre un autre ; allez votre chemin, monsieur, poursuivez ; je ne vous retiens pas ; allez, pour vous venger, violer des promesses dont l’oubli ne serait tout au plus pardonnable qu’à quiconque aurait de l’amour ; courez vous punir vous-même, vous ne manquerez pas votre coup ; car je vous déclare que je vous y aiderai, moi. Ah ! vous m’épouserez, dites-vous, vous m’épouserez ? Et moi aussi, monsieur, et moi aussi ; je serai bien aussi vindicative que vous, et nous verrons qui se dédira de nous deux. Assurément le compliment est admirable ! c’est une jolie petite partie à proposer.

Damis.

Eh bien ! cessez donc de me persécuter, madame. J’ai le cœur incapable de vous nuire ; mais laissez-moi me tirer de l’état où je suis ; contentez-vous de m’avoir déjà procuré ce qui m’arrive ; on ne m’offrirait pas aujourd’hui votre sœur, si, pour vous obliger, je n’avais pas paru m’attacher à elle, ou si vous n’aviez pas dit que je l’aimais. Souvenez-vous que j’ai servi vos dégoûts pour moi avec un honneur, une fidélité surprenante, avec une fidélité que je ne vous devais point, que tout autre, à ma place, n’aurait jamais eue ; et ce procédé si louable, si généreux, mérite bien que vous