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Lisette.

Passons, passons là-dessus ; car, à vous parler franchement, je l’ai cru de même.

Angélique.

Quoi ! vous aussi, Lisette ? Vous m’accablez, vous me déchirez. Eh ! que vous ai-je fait ? Quoi ! un homme qui ne songe point à moi, qui veut me marier à tout le monde, je l’aimerais, moi qui ne pourrais pas le souffrir s’il m’aimait, moi qui ai de l’inclination pour un autre ? J’ai donc le cœur bien bas, bien misérable ! Ah ! que l’affront qu’on me fait m’est sensible !

Lucidor.

Mais en vérité, Angélique, vous n’êtes pas raisonnable ; ne voyez-vous pas que ce sont nos petites conversations qui ont donné lieu à cette folie qu’on a rêvée, et qu’elle ne mérite pas votre attention ?

Angélique.

Hélas ! monsieur, c’est par discrétion que je ne vous ai pas dit ma pensée ; mais je vous aime si peu, que, si je ne me retenais pas, je vous haïrais, depuis ce mari que vous avez mandé de Paris. Oui, monsieur, je vous haïrais ; je ne sais trop même si je ne vous hais pas. Je ne voudrais pas jurer que non ; car j’avais de l’amitié pour vous, et je n’en ai plus. Sont-ce là des dispositions pour aimer ?

Lucidor.

Je suis honteux de la douleur où je vous vois. Avez-vous besoin de vous défendre ? Dès que vous en aimez un autre, tout n’est-il pas dit ?