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Lucidor.

Non ; il n’a pas encore été question du mot d’amour entre elle et moi : je ne lui ai jamais dit que je l’aime, mais toutes mes façons n’ont signifié que cela ; toutes les siennes n’ont été que des expressions du penchant le plus tendre et le plus ingénu. Je tombai malade trois jours après mon arrivée, j’ai vu des larmes couler de ses yeux, sans que sa mère s’en aperçût. Et, depuis que la santé m’est revenue, nous continuons de même ; je l’aime toujours, sans lui dire ; elle m’aime aussi, sans m’en parler, et sans vouloir cependant m’en faire un secret ; son cœur simple, honnête et vrai, n’en sait pas davantage.

Frontin.

Mais vous, qui en savez plus qu’elle, que ne mettez-vous un petit mot d’amour en avant ? il ne gâterait rien.

Lucidor.

Il n’est pas temps : tout sûr que je suis de son cœur, je veux savoir à qui je le dois, et si c’est l’homme riche, ou seulement moi qu’on aime : c’est ce que j’éclaircirai par l’épreuve où je vais la mettre. Il m’est encore permis de n’appeler qu’amitié tout ce qui est entre nous deux ; et c’est de quoi je vais profiter.

Frontin.

Voilà qui est fort bien ; mais ce n’était pas moi qu’il fallait employer.

Lucidor.

Pourquoi ?