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raison, que pour lui fermer les yeux sur tout ce qu’elle se doit à elle-même, que pour l’étourdir sur l’affront irréparable qu’elle va se faire ? Appelez-vous cela de l’amour ; et la puniriez-vous plus cruellement du sien, si vous étiez son ennemi mortel ?

Dorante.

Madame, permettez-moi de vous le dire, je ne vois rien dans mon cœur qui ressemble à ce que je viens d’entendre. Un amour infini, un respect qui m’est peut-être encore plus cher et plus précieux que cet amour même, voilà tout ce que je sens pour Angélique. Je suis d’ailleurs incapable de manquer d’honneur ; mais il y a des réflexions austères qu’on n’est point en état de faire quand on aime. Un enlèvement n’est pas un crime, c’est une irrégularité que le mariage efface. Nous nous serions donné notre foi mutuelle, et Angélique, en me suivant, n’aurait fui qu’avec son époux.

Angélique, à part.

Elle ne se payera pas de ces raisons-là.

Madame Argante.

Son époux, monsieur ! suffit-il d’en prendre le nom pour l’être ? Et de quel poids, s’il vous plaît, serait cette foi mutuelle dont vous parlez ? Vous vous croiriez donc mariés, parce que, dans l’étourderie d’un transport amoureux, il vous aurait plu de vous dire : « Nous le sommes » ? Les passions seraient bien à leur aise, si leur emportement rendait tout légitime.

Angélique.

Juste ciel !