Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point, et qui prend l’épaisseur de ses charmes pour de la beauté. Elle est veuve, fort riche, et il y avait auprès d’elle un jeune homme, un cadet qui n’a rien, et qui s’épuise en platitudes pour lui faire sa cour. On a parlé du dernier bal de l’Opéra : J’y étais, a-t-elle dit, et j’y trompai mes meilleurs amis, ils ne me reconnurent point. Vous ! madame, a-t-il repris, vous n’êtes pas reconnaissable ! Ah ! je vous en défie ; je vous reconnus du premier coup d’œil à votre air de tête. Eh ! comment cela, monsieur ? Oui, madame, à je ne sais quoi de noble et d’aisé qui ne pouvait appartenir qu’à vous ; et puis vous ôtâtes un gant ; et comme, grâce au ciel, nous avons une main qui ne ressemble guère à d’autres, en la voyant je vous nommai. Et cette main sans pair, si vous l’aviez vue, monsieur, est assez blanche, mais large, ne vous déplaise, mais charnue, mais boursouflée, mais courte, et tient au bras le mieux nourri que j’aie vu de ma vie. Je vous en parle savamment ; car la grosse dame au grand air de tête prit longtemps du tabac pour exposer cette main unique, qui a de l’étoffe pour quatre, et qui finit par des doigts d’une grosseur, d’une brièveté, à la différence de ceux de la petite fille de trente ans qui sont comme des filets.

Ergaste, riant.

Un peu de variété ne gâte rien.

La Marquise.

Notre cercle finissait par un petit homme qu’on trouvait si plaisant, si sémillant, qui ne dit rien et qui parle toujours ; c’est-à-dire qu’il a l’action vive, l’esprit froid et la parole éternelle : il était auprès d’un homme grave qui décide par mono-